Après quelques années d'errance, le groupe de Sharleen Spiteri fait aujourd'hui un carton.
Recette d'une résurrection.
Apparemment indifférente, elle se tient dans la pénombre du Théâtre de Verdure à Nice, où ses cinq comparses ont déjà démarré le show. Et, d'un coup Sharleen Spiteri fait son entrée, souriante, bondissante, métamorphosée. Dans ce contraste réside toute l'ambivalence de Texas. Sont-ils sincères ? Ou absolument roués, refabriqués aux normes hip hop-soul du moment ? Leur résurrection est l'un des grands mystères de l'année : comment ce groupe écossais justement catalogué "ringard" a-t-il pu, huit ans après son succès introductif I Don't Want A Lover, renouer avec les ventes, le public et une certaine bienveillance critique ?
Aux oubliettes. Dans les années 90, Texas manque de sombrer. Deux albums anodins, quelque succès, beaucoup de tournées. Mais, dépassée par la brit-pop, la jungle et quinze mille autres courants musicaux, la bande glisse dans les oubliettes de l'actualité, se destinant au mieux à une carrière de seconde zone, stakhanoviste et méritante. Jusqu'à White On Blonde. De ce quatrième album détonateur, Sharleen Spiteri, en bonnet Nike de lutin dans ses loges niçoises, dit : "C'était notre dernière chance." Fini le country-rock à bottleneck qui fut leur marque déposée dès les prémisses - Texas comme Paris, Texas, hommage à Ry Cooder -, finie la peur des machines, finie la petite tambouille fossilisée.
Pour l'appel d'air, Sharleen s'expatrie. Un an à Paris, loin de Glasgow où il était "si confortable de vivre en héroïne". Entre deux coups de fil à Joe McElhone, bassiste et cocompositeur, elle gribouille les textes dans les cafés, se laisse aller à sa fascination pour la musique noire, Marvin Gaye et Motown, découvre des Français : "Dans Say What You Want, les "Ah" "Ah" sont un hommage à Gainsbourg." Le disque, paru au printemps , collectionne les hits dans un créneau fade mais terriblement efficace : la pop-soul. Bingo : deux millions d'exemplaires vendus en Europe, et une première place dans les charts britanniques. "Nous étions en Espagne, quand quelqu'un nous crie de loin : "Un, Un". Quoi ? Numéro un la première semaine de la sortie ? Nous n'en revenions pas." Vraiment ? Car, comme pour mieux assurer ses arrières, Texas n'a pas uniquement chamboulé le fond, mais aussi la forme.
Quand hier Sharleen refusait toute interview en solo, posant au milieu de ses boys en garçon manqué à la lippe boudeuse, elle assume aujourd'hui à fond la notoriété : "J'aime voir ma tête dans les journaux". Les magazines britanniques ont beaucoup glosé sur cette nouvelle image. En gros : un coup monté destiné à doper les ventes. Bien introduite dans le milieu de la mode londonienne (son boyfriend est journaliste au magazine branché The Face), Sharleen aurait bénéficié des meilleurs conseils : un look nature et basique, démaquillé mais sophistiqué.
Séduction androgyne. Hasard ou pas, ça marche; on la voit partout, certains l'intronisent même "visage de l'année", et les couturiers tendance (Hilfiger ou Prada) lui font de l'oeil. Dans l'air du temps, son androgynie séduit. "J'ai toujours joué sur l'ambigüité. Etre désirée par les hommes et les femmes. Enfant, on me prenait souvent pour un garçon, car je refusais les archétypes féminins, blondeur et minauderie." Sur scène pourtant, dans un décor noir et blanc japonisant, mêlant papier mâché et idéogrammes, le trouble paraît bien contenu. Son aisance décomplexée et asexuée la situe à mi-chemin d'une pub Calvin Klein et du sitcom Friends. Soit : bien sous tous rapports, franche et positive. "Je ne crois pas à la noirceur. De nos jours, c'est si facile d'être négatif. Moi, j'ai tout pour aller bien. Chanter devant des milliers de gens qui hurlent votre nom, ce n'est pas un métier bien difficile."
Proche d'un public trentenaire pour qui Texas doit voisiner avec Céline Dion, Jackson, Oasis (à la rigueur), ou MC Solaar, Sharleen Spiteri explore à fond son principal talent : la voix. Blanche mais soul, à la manière d'une Annie Lennox (Eurythmics) moderne, avec qui elle partage d'ailleurs, outre l'ambigüité et les origines écossaises, la collaboration du faiseur pop Dave Stewart. En tee-shirt et pantalon ample noirs, Sharleen enfile les tubes (I Don't want a lover, A prayer for you, Say what you want, Halo...), se lance a cappella, et électrise ses mecs un poil timides, notamment l'efficace guitariste Ally McErlaine, pieds en dedans et bouille poupine.
Une dose de hip hop. Une nouveauté live, les scratchs et samples d'un DJ à casquette, pimentent l'affaire. La pop FM légitimée par le hip hop ? L'hypothèse se tient, renforcée par LA surprise de l'été : la collaboration entre Texas et le Wu Tang-Clan. Soit le collectif rap américain le plus radical et branleur possible, chargé de rebidouiller Say what you want. L'affaire, raconte The Face, s'est bouclée en deux demi-journées. Entre cargaison d'herbe et caisses de champagne, RZA a mixé et Method Man assuré le rap, "morbide" selon le magazine. Un choc culturel : "Si vous passez sa musique en club, tout le monde dansera, mais ce sera carré, direct. Si vous jouez ma musique, l'atmosphère sera plus lourde, plus enfumée", dit RZA. Bien plombé, le morceau (diffusé à la fin des concerts) ne sortira qu'en février, période à laquelle Texas entame sa tournée américaine, dans la foulée de l'album à peine sorti là-bas...
Sur les routes européennes depuis plusieurs mois, Sharleen Spiteri, mine un peu grise, avoue sa fatigue. "Parfois, j'aimerais que le temps s'accélère, que je sois chez moi préparant mes toasts dans la cuisine, au lieu de commander un énième club sandwich au room-service de l'hôtel." L'ascendance a pourtant la fibre voyageuse : des origines italienne, française, allemande, irlandaise et écossaise, un père capitaine dans la marine marchande...
Et le premier job de Sharleen, coiffeuse dans un salon chic de Glasgow, l'a baladée d'Europe en Amérique. Bientôt, elle envisage de quitter Londres pour Paris. "J'adore la France, j'y ai des cousins et beaucoup d'amis. Et le caractère des Français est très proche des Ecossais. Sarcastique, parfois abrupt." D'ici là, elle rêve de vacances sportives : escalade en Ecosse, snowboard, et initiation à la plongée sous-marine. On vous le disait, une fille très nature.
Libération n°5152 du Vendredi 12 Décembre 1997.
Article de Françoise-Marie Santucci (envoyée spéciale à Nice).
© 1997 Libération.
Site web : http://www.liberation.com