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SHARLEEN SPITERI,
UNE FILLE A SCANDALE

Sharleen Spiteri - La chanteuse de Texas, qui a entêté les FM avec son pop-rock "Say What You Want", reste fidèle à son premier succès : "I Don't Want A Lover". Toujours pas d'alliance au doigt et plus que discrète sur sa vie privée. Tant mieux pour les filles sensibles qui hantent le backstage de ses concerts et tombent à genoux devant son look de sale gosse androgyne. Sharleen est une icône lesbienne et c'est bien parti pour durer.


Têtu : Vous êtes assez discrète sur votre vie privée, pourquoi ?

Sharleen : Je ne suis pas secrète, simplement, je protège ma vie privée. Je crois que ça ne regarde personne, je ne vois pas ce que ça peut apporter d'en savoir plus sur ma vie personnelle. Et je ne vois pas pourquoi je raconterais à quelqu'un que je connais à peine depuis une demi-heure et que je ne reverrais sans doute jamais toute la généalogie de ma vie amoureuse. Ce n'est pas parce que je suis une personnalité publique que toute ma vie doit l'être aussi. Je suis très protectrice vis-à-vis de la personne avec qui je vis. J'ai choisi d'être une pop'star, j'ai choisi d'apparaître en couverture des magazines, de donner des interviews. Pas forcément la personne avec qui je vis. Et je respecte ce choix.

T : Vous avez fait une apparition dans le sitcom "Ellen". C'est elle qui vous a contactée ?

S : Elle m'a appelée parce qu'elle souhaitait utiliser une vieille chanson de Texas au générique. Puis, elle m'a proposé un rôle.

T : Que pensez-vous de son coming-out public qui a secoué l'Amérique l'année dernière ?

S : C'est très bien qu'elle l'ait fait, mais je reste étonnée que ça suscite tant de réactions et de paranoïa. Je me fous de savoir si les gens sont gays, hétéros ou n'importe quoi. Cela ne regarde personne et c'est un choix personnel, basta. La véritable honte, c'est que des gens aient pu s'indigner sur le ton : Ah la la, elle fait son coming-out. Cela va nuire à sa carrière ! Je crois qu'elle avait besoin de le faire pour son propre équilibre. Elle a montré l'exemple, mais ce n'est pas une chose si importante que ça.

T : Est-ce qu'elle vous avait parlé de son désir de tout déballer ?

S : Non, mais pourquoi l'aurait-elle fait ? Je ne suis pas une conseillère en coming-out. C'était un choix personnel sur lequel je n'avais pas d'influence à avoir.

T : On vous dit très proche...

S : Ce n'est pas à proprement parler une amie proche. C'est une fille que j'apprécie beaucoup, elle est belle, elle est cool. Mais nous ne sommes pas assez intimes pour qu'elle me demande conseil.

T : Vous êtes adorée des lesbiennes, vous l'expliquez comment ?

S : Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas. Est-ce moi ? Est-ce l'image que je renvoie ?

T : Cela vous flatte ?

S : Mais oui, bien sûr. C'est un compliment énorme, je suis très flattée d'être admirée par des hommes et par des femmes, mais peut-être plus par les femmes, en fait. Parce que je suis une femme et qu'elles sont peut-être meilleures juges.

T : C'est peut-être parce que vous êtes belle que vous leur plaisez autant ?

S : Mais attendez, je ne suis pas jolie.

T : Arrêtez, vous êtes jolie !

S : Je ne corresponds pas du tout à l'image de la femme parfaite des années 90, je n'ai rien du fantasme, je ne ressemble pas à une poupée...

T : Pourquoi refusez-vous systématiquement d'être un sex-symbol ?

S : Considérez-moi comme un sex-symbol si ça vous fait plaisir. Je trouve juste l'idée très drôle. Quand j'étais plus jeune, personne ne me remarquait, tous les mecs me disaient : Eh, ta copine elle est super canon. Mais ce n'était jamais pour moi, personne ne voulait sortir avec moi.

T : Votre nouvel album a reçu un excellent accueil. Vous en êtes satisfaite ?

S : Oui, je suis vraiment très heureuse. C'est un succès massif tout autour du monde.

T : Vous avez travaillé avec Dave Stewart...

S : Mais arrêtez ! Je n'a fait qu'un titre avec lui. Tous les Français ne jurent que par Dave Stewart ou quoi ?

T : Vous n'aimez pas Eurythmics ?

S : Si, j'aime beaucoup Eurythmics. Bien sûr que je les aime. Ils sont vraiment géniaux et Annie Lennox est une fille super.

T : Vous venez de collaborer avec le Wu Tang Clan, pourquoi une telle rencontre ?

S : Mon manager était à New York et il a rencontré celui du Wu Tang Clan complètement par hasard. C'est comme ça qu'il a appris que le groupe était raide dingue de "Say What You Want". De fil en aiguille, ils se sont mis à réfléchir à une collaboration et Method Man et ODB ont retravaillé le morceau.

T : Qui est vraiment différent de l'original...

S : Oui, c'est le moins que l'on puisse dire. Method Man a une vision très différente du morceau, le son est beaucoup plus dur. Ils ont conservé des parties de "Say What You Want" qu'ils ont mélangées avec leurs propres compositions.

T : Ca vous plaît ?

S : Oui, vraiment. Il va sortir au printemps et les gens vont rester sur le cul : Texas travaillant avec Wu Tang Clan, incroyable !

T : C'est une manière d'être plus crédible ?

S : Je ne crois pas que nous ayons besoin de crédibilité. Nous vendons deux millions d'albums, nous n'avons pas à nous poser de questions sur notre talent...

T : Les Spice Girls aussi vendent par millions !

S : Oui, c'est vrai. J'ai énormément de respect pour leur travail, car je crois qu'il est très facile de se foutre de leur gueule. Elles bossent dur, elles font leur truc et elles le font bien. Bien sûr, cela n'a rien à voir avec ma conception de la musique. Je suis nettement plus impliquée dans le groupe, j'écris, je compose. Je me fous d'être crédible ou non. L'essentiel, c'est ce en quoi je crois. J'ai envie d'être heureuse, le reste m'emmerde.

T : Le monde du rap n'est-il pas trop misogyne pour une petite fille comme vous ?

S : C'est très drôle, tous ces mecs qui passent leur temps à se la jouer en hurlant : Fuck you bitch. Quand j'entendais ça, je les chopais dans le blanc des yeux : OK, viens donc me le dire en face ! Et ces gros machos s'écrasaient comme des chiens. Voilà à quoi ressemble le monde du rap qui terrorise la terre entière.

T : C'est plus difficile d'être une fille dans le monde du rock que dans celui du rap ?

S : Ca dépend. Le businnes musical est un monde d'hommes dirigé par des hommes blancs. Quand tu es une femme, tu dois faire tes preuves constamment.

T : Des figures fortes du rock - comme Chryssie Hinde, Patti Smith, Nico - vous ont-elles servi de modèle ?

S : Je vais vous raconter une histoire plutôt drôle et déconcertante. Récemment, j'ai été invitée à une remise de prix pour le magazine "Q" et Patti Smith était l'invitée d'honneur. J'ai toujours eu énormément de respect pour Patti, j'ai toujours pensé qu'elle avait une attitude parfaite et qu'elle avait nettement contribué à valoriser l'image de la femme dans le rock'n'roll. Il s'est avéré que c'était la plus conne et la plus stupide des femmes. Elle est montée sur scène et PJ Harvey, qui lui remettait le trophée, a fait une élocution très émouvante. Tout ce que Patti a trouvé à répondre a été un : Fuck off. A la place de PJ Harvey, je lui aurais envoyé mon poing directement dans la gueule !

T : Qu'est-ce que vous répondez aux gens qui vous surnomment la Blondie brune ?

S : D'abord, j'adore Blondie. Et que dois-je répondre ? On te sort des trucs incroyables et on s'attend à ce que tu fasses des : Oh non, je ne veux surtout pas lui ressembler en trépignant. A quoi bon discuter ? Cela ne me vexe pas, j'ai toujours été une grande fan de Debbie Harry.

T : Vous trimballez toujours cette image de femme forte ?

S : Vous croyez vraiment que je suis une femme forte ? Je me méfie plus que tout des préjugés que véhicule une telle opinion. Suis-je forte en tant qu'être humain ou parce que je suis une femme ? Vous saisissez la nuance ? C'est bizarre, mais dès qu'une femme a une opinion bien tranchée, on s'exclame : Quel caractère !

T : Parlez-nous de ce deal avec Calvin Klein.

S : (Etonnée) Mais c'est encore secret... Comment êtes-vous au courant ? En fait, nous n'avons pas encore décidé de la forme de notre collaboration. Une chose est sûre, je ne veux pas être modèle. Calvin Klein est très influent aux Etats-Unis, mais j'ai besoin de me sentir à l'aise, autrement je ne le ferais pas. Il y a beaucoup d'argent en jeu, mais ce n'est pas ce qui m'importe.

T : Vous faites très attention à votre image ?

S : Oui, j'ai horreur des photos prises à l'improviste et je choisis toujours les photographes avec qui je travaille, les fringues que je porte. Il y a quelques semaines, j'ai fait des photos pour un magazine allemand qui me voulait en couverture. La styliste m'amène un paquet de fringues, mais aucune ne me plaisait. Je lui dis : Je n'aime rien de ce que vous m'avez apporté, j'ai mes propres fringues et elles feront très bien l'affaire. Je ne sais pas ce qui s'est passé, elle a pété les plombs, elle passait son temps à souffler. J'ai piqué ma crise : Je ne vous ai rien demandé. Je perds du temps à faire des photos pour votre magazine. Je vous fais une faveur, alors ne me prenez pas la tête avec ce comportement de merde ! Je n'ai pas envie d'être déguisée, je ne suis pas un modèle à qui on dit : enfile ça, sois belle et tais-toi. Ce n'est pas mon boulot.

T : Quels sont vos designers préférés ?

S : Helmut Lang, Prada, Miu Miu, Anne Demeulesteer, Calvin Klein. J'aime les fringues très simples qui durent longtemps. Le genre de trucs que tu peux mettre dix ans après les avoir achetés sans que ça fasse démodé ou tarte.

T : Il paraît que vous parlez bien mieux le français quand vous êtes bourrée...

S : Oui. Je crois que ça tient au fait qu'après avoir beaucoup bu, je n'en ai plus rien à foutre de faire des fautes ou pas.


Têtu n° 21 De Février 98.
Interview de Patrick Thévenin.
© 1998 Têtu.
Site web : http://www.tetu.com