Installée à la table d'un grand hôtel parisien où trônent les vestiges d'un petit déjeuner, Sharleen Spiteri semble toute petite dans son fauteuil. A peine la remarque-t-on au milieu de cette agitation. Son look d'adolescente et sa coupe garçonne contrastent désormais avec le style ultra-féminin qu'elle adopte sur le nouvel album, "The Hush". Timide au début de l'entretien, elle chuchote, puis finit par se laisser porter par la conversation. Elle nous parle à présent de son métier avec passion.
Depuis le début de ton activité promotionnelle autour de "The Hush", tu apparais particulièrement fière et satisfaite de cet album.
C'est vrai. Avant tout parce que je le trouve particulièrement bon ! (rires) Nous avons ressenti une telle pression et tant travaillé pour réussir ce disque que nous sommes d'abord heureux d'avoir pu surmonter l'épreuve. J'espère simplement que le public l'appréciera autant.
Durant la phase d'écriture, essayes-tu d'imaginer quelle va être sa réaction ?
C'est impossible. Si j'essayais d'écrire avec un but, mon travail serait biaisé par ma volonté d'atteindre cet objectif. Il n'aurait plus rien de spontané. D'ailleurs, bien malin celui qui connait les attentes du public, et qui peut anticiper sur ses envies au moment où l'album sortira. Finalement, le plus simple reste de suivre son instinct. Il faut ignorer ce qui se passe autour de soi, que ce soit le dernier style à la mode, les critiques des professionnels ou même les conseils de ses amis. Le fait d'appartenir à un groupe m'aide beaucoup, car il devient une forteresse dans laquelle je peux m'isoler et me protéger. La pression que nous avons subie ne venait pas de l'extérieur, mais de chacun de nous, car nous voulions tous nous surpasser individuellement. C'est assez salutaire, finalement.
Gardes-tu un bon souvenir de l'enregistrement de "The Hush" ?
Dans l'ensemble, oui. Nous avons tous eu l'impression de relever un défi, particulièrement Johnny (McElhone) et moi, car nous avons beaucoup travaillé à l'écriture des morceaux. Nous savions exactement ce que nous voulions et nous avions une idée tellement précise que nous tâtonnions pendant des heures avant d'y arriver.
J'ai également eu de mémorables prises de becs avec Johnny, le plus souvent déclenchées par de petits riens, mais qui prenaient vite des proportions exagérées. Dès que nous élevions la voix, les autres quittaient la pièce pour échapper au massacre. Nous finissions souvent par nous insulter et par partir chacun de notre côté en claquant le plus de portes possibles sur notre voyage. Mais nous sommes tellement proches que l'incident était vite oublié. Parfois, de tels accrocs peuvent même se révéler stimulants et positifs.
Johnny et moi écrivons la musique et les paroles de chaque titre. Nous travaillons ensemble 24 heures sur 24; il est donc normal que, de temps en temps, ça explose. Nous avons toujours fonctionné de cette façon, mais notre motivation était tellement forte pour "The Hush" que nos engueulades ont été exceptionnelles, elles aussi !
Vous n'avez jamais pensé faire appel à un auteur extérieur, ou tout du moins collaborer avec quelqu'un d'autre ?
Si l'on me propose une chanson, je réfléchirai à la question. J'ai besoin d'être en phase avec le morceau, de ressentir une émotion en écoutant la musique et de pouvoir me retrouver dans les paroles. Ensuite, peu importe que la chanson soit gaie ou triste, je suis très ouverte. La seule chose que je n'aime pas, c'est un morceau purement négatif. Dans la pire des situations, je persiste à penser que l'on peut encore voir les choses positivement. Je ne chanterai jamais une chanson qui pousserait mon auditoire au public !
Tu parles très souvent de l'aspect positif de toute chose... Ton optimisme t'aide-t-il à survivre dans ce métier ?
Tout à fait. Ce milieu pousse au cynisme, au matérialisme et à la superficialité. Des gens bien intentionnés se plient aux moindres désirs des artistes tant qu'ils ont du succès et les laissent tomber aussi rapidement qu'ils les ont encensé. Après "I Don't Wan't A Lover", nous étions les rois du monde. Mais quand nous avons eu moins de succès, nous avons su qui étaient nos amis.
Revenons à "The Hush". Les ambiances aussi bien que la musique semblent particulièrement empreints de soul...
Oui, très largement, mais aussi de pop et de rock. J'ai toujours été une grande fan de Diana Ross et Marvin Gaye, mais aussi de Prince ou ABBA. Oui je sais; cela surprend, mais j'ai été adolescente comme tout le monde ! C'est ce mélange un peu dingue qui rend l'album si bon.
Les guitares sont moins présentes, moins agressives.
C'est un tournant que nous avions abordé sur "White On Blonde". Nous avons changé d'état d'esprit. Nous ne sommes plus une bande de gosses énervés. Nous avons mûri. Nous travailons de la même manière, mais notre façon d'appréhender la musique a probablement changé. Aujourd'hui, nous prenons le temps de réfléchir. Notre musique est plus planante, plus sexy...
Sexy ? C'est assez curieux comme adjectif pour parler d'un album.
"Sensuel" est peut-être plus approprié. Quand tu écoutes l'album tu n'as pas envie de...(elle secoue la tête dans tous les sens) mais plutôt de...(elle s'étire comme un chat au soleil). Il suffit de s'imaginer sur une plage de sable fin, réchauffé par le soleil et bercé par la brise et le clapotis des vagues, en train d'écouter cet album, tout en se prélassant , sans faire d'effort. Excepté peut-être pour attraper la crème solaire (rire). Ce disque est la bande originale d'un moment paisible, sensuel.
Autrefois, vous avez interprété un morceau avec le WU-TANG CLAN. Avec quels autres artistes aimeriez-vous collaborer ?
Il est toujours difficile pour un groupe d'associer "un étranger" à son travail. Il nous est arrivé d'impliquer des amis, mais ce morceau avec WU-TANG CLAN reste une expérience unique en son genre. Nous sommes partis d'un de nos morecaux, qui a été remixé et enrichi de passages rap. Et tout cela à cause d'un T-shirt Land Rover !
Pardon ?
Oui, c'est une histoire assez drôle. A New York, dans les bureaux de notre maison de disques, notre manager a rencontré l'un des membres de WU-TANG CLAN qui portait un T-shirt Land Rover. Ils avaient le même ! Ils ont commencé à parler voiture et à sympathiser. Notre manager évoque alors TEXAS et peu à peu germe l'idée d'un remix d'un de nos morceaux, puis celle de le jouer ensemble. O.D.B. (Ol' Dirty Bastard) a donc commencé à travailler sur le mix, RZA a produit le tout. Mais sur la vidéo, c'est surtout Method Man qui apparaît, peut-être parce que c'est avec lui que nous avons eu le meilleur feeling. Il est plutôt rare que des rappers acceptent de chanter avec une "petite blanche". Mais il a l'esprit très ouvert et le mélange de nos deux musiques lui a plu.
La vidéo est d'ailleurs assez amusante. Tu as l'air...
...tellement minuscule comparée à lui, hein ? La vérité, c'est que je le suis ! Il doit mesurer près de deux mètres, une vraie taille de basketteur. A un moment du clip, quand il se penche vers moi pour m'embrasser, j'avais l'impression qu'une montagne s'effondrait sur moi. Je dois lui arriver à la taille. Je garde vraiment un excellent souvenir de cette collaboration. La vidéo a été tournée live. Avant de monter sur scène, nous étions nerveux. A côté de nous, les membres du CLAN étaient complètement détendus. Il faut dire que toute la salle hurlait "WU TANG ! WU TANG !" La présence de Method à côté de moi sur la scène était presque rassurante. C'était assez drôle de jouer la petite fille sexy en chantant "When I Get That Felling" et d'entendre ensuite ses interventions rap.
Tu chantes très différemment sur l'album. Travailles-tu beaucoup ta voix ?
A vrai dire, elle est assez naturelle. Je la travaillais au début, mais aujourd'hui, les répétitions avec le groupe me suffisent. Question d'expérience. Ma voix s'est également beaucoup modifiée avec l'âge. Avant je chantais : "la la la", maintenant c'est plutôt : "lâ lâ lâ". Je me donne à fond, parce que J'ADORE chanter. J'y mets toutes mes tripes et cela se ressent vraiment dans mes chansons.
Hormis les aléas liés au succès que TEXAS a pu rencontrer, quel est l'aspect le plus difficile de ce métier ?
Il n'y a pas vraiment de difficultés. Parfois, je rêve d'avoir une vie "normale", de dormir dans mon lit, de voir mon copain et de préparer mon propre petit déjeuner. Mais d'un autre côté, j'ai une chance incroyable. Je peux exprimer tout ce que je ressens en musique. Tant de gens sont malheureux parce qu'ils sont obligés de garder en eux tout ce qu'ils ont sur le coeur.
Tes chansons sont toutes autobiographiques ?
Oui. Si elles ne parlent pas de moi au premier degré, elles traitent d'observations que j'ai pu faire de mon environnement et de mon entourage. Je peux aussi bien exprimer mes joies que mes peines. Ecrire me permet d'exorciser mes angoisses, comme souvent chez les musiciens. Il est tellement difficile de parler les yeux dans les yeux qu'une chanson peut être un bon dérivatif pour faire passer le message en douceur. Si l'on va vraiment très mal, écrire une chanson permet de renverser la vapeur. En tant qu'artiste, je suis encore capable de créer, et c'est bien la preuve que tout ne va pas si mal.
Dans les pires moments de doute as-tu déjà pensé à arrêter ?
Heureusement, j'ai toujours réussi à me sortir des moments difficiles, justement par l'écriture.
Et as-tu déjà songé à laisser le groupe un moment pour une toute autre raison, comme avoir des enfants par exemple ?
J'aimerais beaucoup en avoir et, bien sûr,le moment venu, je devrai changer mon style de vie. J'essaye donc d'en profiter au maximum maintenant. C'est pour cela que je travaille si dur. Pour l'instant, ma vue m'engage que moi.
Best n°2, Avril 1999.
Interview : Juliette Legouy..
© : 1999 Editions RS Communication.