TEXAS DE COEUR  


Couverture de Music Up !


Etourdi de plaisir par le succès de White On Blonde, Texas a décidé de laisser désormais libre cours à sa nature pop et de jouer les séducteurs. Son nouvel album, The Hush, est un véritable juke box soul et cuivre qui va faire chavirer d'aise les amants de l'été à venir. Entre Tamla d'hier et dance d'aujourd'hui, Sharleen Spiteri, promue nouvelle Supreme, vous dévoile en exclusivité le nouveau Pari Texas.

Quand on compare aujourd'hui le futur album de Texas, The Hush, et le premier opus du groupe de Glasgow, tel qu'il nous fut révélé il y a juste dix ans avec son rock étonnamment sudiste et les frissons de slide de I Don't Want A Lover, on n'en finit pas de s'étonner du chemin parcouru. A se demander s'il s'agit bien du même groupe tant un monde semble séparer la juvénile rythmique bluesy de Everyday Now et la pop dance sensuelle de Sunday Afternoon, l'un des nombreux hits à venir. C'est pourtant toujours la petite Sharleen qui roucoule à l'avant-scène, toujours ce grand diable de Johnny Mac Elhone qui organise l'affaire, et le même discret Ally Mac Erlaine qui décore le tout de sa guitare mesurée. Mais le pub band des débuts est bien loin. Désormais, Texas a décidé de s'ouvrir une piste de danse à l'échelle de la planète pour séduire tout son monde avec une pop langoureuse et ouvragée qui a su adapter avec subtilité toute la magie du son Tamla Motown des sixties à l'esprit de disco-parade des années 90. Une pure alchimie de plaisir où tout repose sur une hypnotisante sensualité et une science totale de la mélodie en accroche-coeur. C'est peu dire que The Hush risque de faire un malheur et de renforcer encore le statut de "gros vendeur" qui incombe à présent à ce groupe d'éternels jeunes gens furtifs et hors-modes. Certains vont évidemment hurler à la dérive commerciale, à la recherche méprisable du hit pour lui-même. Les mêmes qui ne feront jamais ce procès aux Beatles ou aux Beach Boys, qui ne pratiquèrent pourtant pas différemment. Car Texas appartient en fait à cette race de groupes qui savent marier la subtilité d'un feeling indiscutable aux refrains les plus enjôleurs, ceux pour qui on a inventé le terme de "pop music", trop longtemps dénigré, auquel Sharleen et ses gars viennent de rendre d'un coup toutes ses lettres de noblesse. Et avec bien plus d'honnêteté que leurs confrères de la britpop, sans ces hypocrites prises de distance provocatrices, façon Oasis ou Blur, qui ont une suspecte manière de toujours cracher dans la soupe qu'ils ont été les premiers à faire. Il est vrai que Texas a toujours souhaité ne faire parler de lui que par sa musique. Ce groupe-là est intègre, on ne le savourera jamais assez pour cela.

LA FILLE DE LA MAISON BLANCHE
C'est une maison toute blanche dans le quartier cossu de Regent's Park. Très blanche, très grande. Un lion de pierre, parfaitement assoupi, veille mollement sur le seuil. A l'intérieur, tout est aussi blanc. Et presque vide. Sharleen Spiteri vient en effet tout juste d'emménager dans sa nouvelle résidence londonienne. Les grandes pièces sont veuves de tout mobilier, on ne trouve que l'essentiel, du moins pour une rockette : télévisions, téléphones, chaîne hi-fi. Le reste viendra plus tard, la propriétaire s'en fiche un peu, elle n'est pas du genre à se suicider parce que la teinte des double-rideaux est trop soutenue... Des ouvriers passent et s'activent. Des ouvriers qui, surprise, quand ils réclament ses directives, interpellent Sharleen Spiteri par son prénom. On imagine mal les hommes de main des autres dire : "Whitney (ou Janet, ou Mariah, ou Dolores), où est-ce que je dois mettre ça ?". Mais Sharleen refuse tout ce qui n'est ni simple ni direct. Cette familiarité va de soi pour elle. En fait, telle qu'elle se lève, telle qu'elle reste. Depuis quelques années que je la recontre, et quelles que soient les circonstances, je ne l'ai jamais vue autrement qu'en tee-shirt, pantalon et chaussures de sport, toujours dans des couleurs discrètes, à peine coiffée. Nature quoi. Jamais de maquillage, pas davantage de bijoux : cette fille se refuse opiniâtrement aux apprêts de toute sorte, que ce soit pour son look ou ses relations professionnelles. Bien souvent, elle change à peine de tenue pour monter sur scène. Il n'y a pas plus anti-star que cette star-là. Elle a toujours l'air spontané de la bonne copine qui débarque sans prévenir, et cela force décisivement la sympathie pour elle. Comment ne pas la croire ensuite quand elle déclare qu'il n'y a jamais eu la moindre préméditation ni la moindre stratégie dans la façon dont Texas a mené sa carrière ? En tout cas, elle démontre qu'on peut être une fabuleuse chanteuse et détester le tralala...

Pendant le tour du propriétaire, on comprend très vite qui elle est à la manière dont elle insiste sur certaines choses. D'abord, montrer la pièce où sera installé son futur studio, le plus près possible du jardin. Ce n'est pas la première fois qu'elle insiste sur son besoin d'enregistrer toutes fenêtres ouvertes. Dans son cas, c'est tout un symbole, celui de son ouverture d'esprit, de son refus d'être un rat de cave jaloux de ses secrets. Ensuite, elle indique avec jubilation l'endroit où, dans son immense cuisine déserte, elle placera une grande table "française", elle insiste là-dessus, en roulant le r de french, comme toute bonne Ecossaise. Car Texas, c'est aussi la convivialité, l'accessibilité permanente. Pour Sharleen, si l'on ne travaille pas entre amis, on ne travaille pas du tout. Au passage, elle en profite pour régler ses premières querelles de voisinage avec les Lefuneste du coin, trop anglais à son goût, qui ne cessent de la chicaner :"Cela n'arriverait jamais à Glasgow", explose-t-elle ! "Au moins, là-bas, on est hospitalier. Il est évidemment plus commode pour moi d'habiter Londres car cela facilite tout pour le travail. Mais ils sont si antisociaux par ici... C'est pour cela que je refuse de renoncer à ma maison et à mon studio de Glasgow". Elle le confesse volontiers : elle est demeurée une Ecossaise pure et dure - de toute façon, il n'y en a pas d'autres... Et ce d'autant plus qu'en Ecosse, elle passe vraiment pour une gloire nationale. Pour un Anglais, un chanteur briton qui s'impose ne représente qu'un exemple de réussite individuelle, et presque naturelle. Les Ecossais eux, investissent la même ferveur sur leurs groupes de rock que sur leur équipe de rugby. Le triomphe des Simple Minds ou de Texas renforce leur fierté nationale plus qu'on ne saurait dire : c'est presque aussi bien que de gagner la Calcutta Cup. Aussi notre petite Scottish ne se sent-elle pas toujours tout à son aise dans le Grand Londres.
Ce fut donc dans une atmosphère toute particulière, rare dans le monde du rock, que Sharleen accorda à "Music Up !" cet entretien d'avant-première, dans une grande pièce vide juste meublée de deux fauteuils sans luxe. Mais la chaleur et la conviction humaine firent l'essentiel. Sharleen se lova dans son siège, comme elle aime à le faire quand elle se sent en confiance dans une interview, les jambes ramenées sur son petit corps, la tête abandonnée en arrière, et les yeux brûlants de toute sa passion pour ce groupe qui est sa vie.
99 texas road
Ce n'est pas leur adresse, mais bien ce que risque de représenter cette année pour le groupe : une voie royale vers un succès encore plus grand. Un groupe d'ailleurs un peu modifié, comme le précise d'emblée Sharleen : "Le groupe a été changé et augmenté, mais je crois qu'il reste fondamentalement le même. Nous avons un autre batteur, un second guitariste, et un partenaire en plus pour faire le DJ, et tous les effets sonores. Tout cela s'est fait de façon naturelle. Il n'y a pas eu de mauvaises histoires entre nous, pas non plus de grand plan de bataille pour changer les choses. Il y a des groupes qui changent d'effectif parce qu'ils ne s'entendent plus, et du coup leur musique change aussi. Il y a ceux qui décident à l'avance de changer de musique, et qui sont donc ensuite obligés de modifier leur équipe. Pas nous. Nous faisons des réajustements spontanés, les choses se font en même temps que la musique, cela répond toujours à des besoins internes, cela fait partie de la vie naturelle du groupe".
En fait, depuis le début, c'est le trio Spiteri/Mac Elhone/Mac Erlaine qui a formé le coeur infrangible de Texas. Or, si l'équipe est restée quasiment la même, on ne peut plus reconnaître en ce Texas 99 celui de 89. Rarement un groupe de rock, à l'identité pourtant fortement marquée dès le départ, aura changé à ce point en dix ans.
"C'est effectivement le même groupe"; explique Sharleen Spiteri, "mais avec dix ans de plus. Le monde a changé autour de lui, la musique aussi. Nous-mêmes avons changé : il serait curieux alors que la musique soit restée la même. Je ne peux pas imaginer que la femme de 32 ans que je suis puisse jouer comme celle que j'étais à 18 ans, et avoir les mêmes valeurs ou les mêmes points d'intérêt. Les Beatles sont toujours restés les mêmes tant qu'ils ont existé, et pourtant si tu mets brusquement l'un à côté de l'autre "Love Me Do" et "I Am The Walrus", tu auras de la peine à croire que c'est le même groupe. Je ne crois pas que les groupes doivent rester fidèles à leur identité première, à leur son de base, à une image fixe, distinctive et bien reconnaissable. Je m'ennuierais à mourir si cela devait être ainsi. Etre soi-même, cela ne veut pas dire rester soi-même, cela veut dire accepter de changer, mais de changer naturellement. Dans Texas, on ne s'assied pas à une table pour décider de ce que l'on va faire. On laisse venir les chansons, et l'on se rend compte qu'elles ne sonnent effectivement plus comme celles d'avant".
Il est vrai que le passage ne s'est pas fait en un jour entre "I Don't Want A Lover" et "In Our Lifetime", ce premier single pétillant dont vous allez vous griser en avril. Mais ce qui semble le plus étonnant est le renouvellement des influences, choses a priori tellement basiques qu'on ne les renouvelle justement pas. Cela équivaudrait à aller rebidouiller ses gènes. Autant il fallait parler jadis de Ry Cooder et de sudistes bottlenecks, ou plus tard de gospel ou de country, autant à présent Texas semble être tombé tout petit dans la marmite Tamla, là où frémissaient la potion magique des Supremes et de Marvin Gaye.
"Si tu relis les premières interviews de Texas", conteste Sharleen, "tu verras que je citais déjà Diana Ross comme une référence majeure. Seulement la presse l'a moins retenue car ce n'était pas aussi évident dans notre musique d'alors. Si je devais partir aujourd'hui pour une île déserte, je pourrais uniquement emporter tout le catalogue Tamla Motown, cela me donnerait du bonheur jusqu'à la fin de ma vie. Cette influence n'est devenue très présente dans Texas que plus récemment, et très visible avec "Black Eyed Boy". Peut-être qu'avant j'étais trop jeune pour être vraiment soul. Mais il ne faudrait pas exagérer et dire que le nouveau disque est entièrement voué au son Tamla revisité. Un morceau comme "The Hush" est très différent, c'est un étrange cocktail de Roxy Music, de Human League, et même d'Abba. Oui, je sais, ça fait sourire. Les groupes de rock n'ont pas pour habitude de se réclamer d'Abba. Et pourtant. J'ai totalement redécouvert ce groupe. J'ai écouté au-delà des tubes habituels, et pour moi, c'étaient vraiment les Beach Boys des années 70. Les compositions sont superbes, la production grandiose. Et ces voix ! Tout le monde considérait un peu Abba comme un de ces groupes ridicules pour Concours de l'Eurovision, mais ils sont en train de devenir un groupe-culte, et je suis la première à le reconnaître".
Panique dans les chaumières : The Hush serait-il un "Fernando" techno ? On se calme. Influence ne rime qu'accidentellement avec dépendance, surtout chez Texas.
avant-première
Bon, il faudrait peut-être cesser de tourner autour du pot et vous dire enfin vraiment de quoi est vraiment fait The Hush, puisque vous ne pourrez effectivement pas vous faire une idée par vous-même avant le mois de mai. Comme nous avons disposé du précieux cédé en avant-première, autant éclairer votre lanterne, cela n'en rendra que plus clairs les commentaires de Sharleen. La fête commence sans ambiguité par trois mégahits indiscutables, de quoi faire ronronner de contentement Banknote, le chat de monsieur Mercury. "In Our Lifetime" est un cousin éloigné mais pétulant de "Say What You Want", avec une intriguante mélopée orientale tout à fait magnétique. "Tell Me The Answer" voit ensuite Sharleen emprunter à la fois les chemins de Marvin Gaye et de Prince. Enfin "Summer Son" doit effectivement beaucoup à Abba, mais ce n'est pas vraiment le meilleur morceau du disque.
Puis commence avec "Sunday Afternoon" une éblouissante séquence très Tamla où Texas montre qu'il a tout compris de la magie sonore des Supremes et autres Temptations, mais qu'en plus il a su décliner ces accents très sixties dans un langage musical on ne peut plus contemporain. Dès lors, le chant de Sharleen devient confondant de sensualité, et, notamment sur "Move In", le groupe s'abandonne avec une féline souplesse à une musique tout en enroulé-déroulé d'un feeling très insinuant, comme s'il avait quintessencié en lui l'âme entière du rythm & blues. Même les violons, trouvaille géniale de Tamla, sont restitués avec une saisissante modernité. La comparaison avec Diana Ross est encore plus frappante avec "When We Are Together", autre tube potentiel, et "Day After Day", l'un des chefs-d'oeuvre du disque. Du coup, tout ce qu'ont tenté Whitney Houston et Janet Jackson pour devenir Ross à la place de Ross semble renvoyé à la fadeur du néant, et l'on n'en finit pas de s'étonner que la soul si noire de la divine Diana soit allée se nicher dans le corps si blanc et si laiteux d'une petite Ecossaise des faubourgs de Glasgow.
Un curieux instrumental, genre Human League déjanté, période Sheffield In The Dark, assure la transition avec une troisième partie de l'album, très différente de ton. A commencer par le monument du CD, "Saint", une flottante et poignante ballade aux accents quasi-cosmiques, qui est aux Ecossais ce que "With Or Without You" représente pour U2.Rien moins. "Girl", "The Hush" et le final "The Day Before I Went Away" se complètent pour créer une sorte de très érotique fusion musicale entre la new wave, la dance et la soul, le tout dans un esprit on ne peut plus pop qui reste la marque essentielle de l'ensemble du disque. Dans ses commentaires, Sharleen montre que ses préférences vont somme toute à "Move In", "Day After Day", "The Hush" et "Saint", comme par hasard les morceaux les plus élaborés et les plus imprégnés de ce feeling mystérieusement persuasif qui embaume ce disque. Ceux qui s'attendaient à un remake tranquille de White On Blond seront déçus. Mais le potentiel commercial de The Hush n'en paraît que plus grand encore.
trip pop
Plutôt satisfaite de son petit dernier, Sharleen Spiteri garde la tête suffisamment froide pour l'analyser : "White On Blonde était un album très influencé par la France, même si les Français ne s'en sont pas vraiment rendu compte. J'étais très marquée alors par un mode de vie français, j'avais la tête pleine d'images de films français. Ce disque-ci est forcément très différent. Mais il ne faudrait pas croire que nous sommes partis d'une étude-bilan de White On Blonde pour le faire. Nous aurions pu choisir ce que nous préférions de ce dernier, et le développer, ou prendre le contre-pied pour être sûrs de ne pas nous plagier nous-mêmes. Pas du tout. Ce genre de stratégie très préméditée n'est pas pour nous. D'abord, nous nous sommes forcés à travailler, et je dois dire que ce nouveau disque est le résultat d'un travail acharné, d'une réelle discipline que nous nous sommes imposée. Après avoir vendu des millions d'albums, nous aurions pu nous la couler douce et voir venir. Mais nous avons décidé de travailler tous les jours. Des fois, il ne se passa pas grand-chose. D'autres jours, nous avions deux ou trois idées de chansons en même temps. Nous en avons fait beaucoup, et nous n'avons finalement retenu que celles qui nous faisaient personnellement le plus plaisir. Evidemment, cela donne un côté très décousu à l'album, qui part un peu dans tous les sens. C'est comme un voyage dans tout ce que nous pouvons être. Mais cela ne peut pas nuire à la personnalité du groupe ni à son identification. Les albums des Beatles étaient aussi très différents d'une chanson à l'autre, et c'était quand même toujours des albums des Beatles, même sans idée directrice. Donc, le fun avant tout. Car c'est finalement le plus important pour nous. Je trouve qu'il y a effectivement beaucoup de groupes actuels qui sont sombres, tristes, déprimants à force de ne vouloir prendre en compte que ce qu'il y a de négatif autour de nous. Moi, je veux m'efforcer d'aller vers le plaisir et le fun, d'être positive. Actuellement, il est plus facile d'être négatif que positif. Notre recherche du fun est notre façon à nous de résister à ce monde vraiment pas joli tous les jours. Nous aussi nous avons eu notre période sombre, du temps de Mothers Heaven. Je ne regrette pas ce temps-là, non merci ! Je reconnais que certains peuvent nous accuser de légèreté, de faire des hit singles avant tout, mais Texas a toujours été un groupe popet, en tant que fan de musique, je dois beaucoup de mes meilleurs souvenirs à des hit singles que j'ai usés à force de les écouter. Le scratch de vieux disque vinyle que nous avons mis au début du disque n'est pas seulement une plaisanterie. Pour moi, c'est tout un symbole. Avant, la dimension pop de Texas se voyait moins parce que l'environnement sonore était plus rock. Mais si une chose n'a jamais changé dans ce groupe, c'est notre conception ultraclassique de la chanson, et ce depuis le début. Couplet, refrain, pont : il n'y a pas de mystère, pas d'innovation, c'est la plus vieille recette de la pop, mais je trouve que c'est une forme parfaite, pourquoi en changer ?". La pochette très estivale le confirmera - Sharleen la considérant elle-même comme un remake du 461 Ocean Boulevard d'Eric Clapton aux palmiers fameux -, la musique de The Hush est avant tout une longue romance d'été. C'est exactement la musique que l'on a envie d'entendre lorsque l'on roule dabs un cabriolet ouvert, par un minuit d'août, dans la touffeur tombante d'une nuit océane. "C'est vrai que c'est avant tout une musique d'été, mais pas de franc soleil du jour, trop sportif, ni de nuit, trop sexuel. C'est la musique du crépuscule, quand la sensualité est la plus forte, quand les sentiments deviennent plus flous". Sharleen s'étire de bien-être. Elle se met à chanter, d'une voix qui rend soudain la pièce beaucoup moins blanche et beaucoup moins vide. Dehors, il bruine sur Londres grise. Il y a encore des musiciens qui sont heureux rien qu'à rejouer leur musique dans leur tête.
le non de la rose
Ce la dit, toute pop qu'elle soit, et toute suave que soit sa musique, Sharleen Spiteri possède un sacré caractère, décidé et combatif, qui lui permet de se positionner fermement face au busines qui l'environne. Il y a un certain nombre de points qui pour elle ne souffrent pas de discussion.
Par exemple, Texas est peut-être le seul groupe de dix ans d'âge qui n'ait jamais publié ni live album ni compilation. Sharleen refuse l'un et l'autre, tout en ramenant en arrière sa mèche noire soudain plus rebelle : "Nous voulons avant tout que notre musique soit fraîche. Il n'est pas si fréquent de pouvoir faire un disque. Seulement tous les deux ou trois ans maintenant. Il ne faut pas gâcher cette occasion si rare en allant refaire ce que tu as déjà fait. Je sais que certaines de nos vieilles chansons ont été tellement modifiérs, comme "...Lover", que nous pourrions sans honte les réenregistrer, ou sortir un live. Mais à quoi bon refaire ? Il y a tellement d'idées de chansons en nous qui attendent qu'on les enregistre... Faire un Greatest Hits, c'est bon pour ces moments où tu n'as plus d'idées. Pareil pour les live. C'est de l'argent facile. Mais nous débordons d'idées, place à la nouveauté d'abord".
Même attitude rétive face à l'industrie musicale : "Etant donné notre façon de penser et d'être, nous devrions être sur un label indépendant. Nous ne sommes pas des gens à la mode, jet set et tout. Et j'ai longtemps pensé à créer une structure indépendante de production musicale, cinéma, presse, avec mon boy friend notamment. Mais je crois que nous serions très déçus de cette liberté, parce que le système indépendant de distribution est si déficient, et même indifférent aux artistes, que tu ne peux qu'être frustré. Nous avons en fait la chance d'avoir grandi en même temps que notre label, qui est devenu une major en même temps que nous-même devenions populaires. L'équilibre entre eux et nous a ainsi toujours été le même. Bon, il faut accepter les clauses des contrats, mais nous avons gardé l'essentiel sous notre contrôle, et j'ai toujours le pouvoir de dire non".
Le tout accompagné d'une moue bien décidée. Idem en ce qui concerne les pressions qu'elle sentit parfois pour délaisser Texas au profit d'une carrière solo : "Pas question. Ceux qui ont voulu me le faire entendre ont vite compris à ma tête qu'il valait mieux ne pas insister. Pourquoi irais-je quitter un groupe dans lequel je suis bien, où se trouvent les meilleurs amis que j'ai jamais eu au monde ? C'est grâce à eux que je me régale à faire la musique que je fais. Je ne vois pas ce que cela m'apporterait de plus de le faire sous mon propre nom. En fait, je suis sûre que je m'amuserais beaucoup moins".
Du coup, l'industrie lui a fabriqué son clone en la personne de Natalie Imbruglia. Ce qui la ferait plutôt sourire : "C'est plutôt flatteur finalement car "Torn" est une bonne chanson et cette fille est très jolie. Cela dit, tu dois accepter d'être copié, surtout qu'aucune musique ne vient de rien. Chacun a copié quelqu'un, à commencer par nous, hein ? C'est vrai que c'est elle qui récolte les Awards, mais je ne vais pas me plaindre alors que nous avons vendu quatre millions de disques. C'est la loi du business. Il faut laisser aller. Ce n'est pas ce qui va m'empêcher de m'amuser".
S'amuser. Voilà le maître-mot. Ce qui la motive avant tout. Et ce qui rend la musique de Texas si flatteuse au corps et à l'âme. Trop de groupes ne savent plus s'amuser. Il en reste au moins un, heureusement.

Music Up n°1, Avril 1999.
Article de Hervé Picart.
© 1999 Cyber Press Publishing.